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La planification écologique selon Gramsci

Antonio Gramsci, grand dirigeant et penseur marxiste italien emprisonné dans les geôles de Mussolini dans les années trente jusqu’à y mourir, y a rédigé l’essentiel de ses œuvres politiques et philosophiques, mais aussi une correspondance qu’on peut lire sous la forme d’un livre intitulé « Lettres de prison », préfacé par son succésseur au PCI Palmiro Togliatti. D’origine très modeste, fils d’un peuple particulièrement pauvre et asservi, le peuple sarde, il demande dans l’une de ces lettres à sa femme, résidente en URSS, de raconter à son jeune fils Délio une contine de sa terre natale, qui n’est pas sans évoquer sous une forme très pédagogique, l’attitude très matérialiste des communistes, depuis les origines du mouvement, pour la préservation de la nature et sa gestion rationnelle.

Je voudrais raconter à Délio un conte de mon pays qui me paraît intéressant. Je te le résume et tu le lui développeras, à lui et à julien. Un enfant dort. Il y a un bol de lait prêt pour son réveil. Un rat boit le lait. L'enfant n'ayant pas son lait pleure, la mère de l'enfant pleure. Le rat désespéré se bat la tête contre le mur, mais il se rend compte que cela n'arrange rien et il court vers la chèvre pour se procurer du lait. La chèvre lui donnera du lait si on lui donne de l'herbe, mais la campagne aride réclame de l'eau. Le rat se rend à la fontaine. La fontaine a été démolie par la guerre et l'eau fuit et se perd, il faut un maître maçon. Celui-ci exige des pierres. Le rat s'en va dans la montagne et il se tient un dialogue sublime entre le rat et la montagne qui a été déboisée par les spéculateurs et qui montre de tous côtés ses os sans terre. Le rat raconte son histoire et il promet que l'enfant devenu grand replantera les pins, les chênes, les châtaigniers, etc. C'est ainsi que la montagne donne les pierres, le maçon reconstruit la fontaine, la fontaine donne son eau, la campagne donne son herbe, la chèvre donne son lait et que l'enfant a tant de lait qu'il se lave avec du lait. Il grandit, il plante des arbres, tout se transforme, les os de la montagne disparaissent sous l'humus, les précipitations atmosphériques redeviennent régulières, parce que les arbres retiennent la vapeur d'eau et empêchent les torrents de dévaster la plaine, etc. En somme, le rat a conçu un véritable plan quinquennal. C'est une histoire qui appartient en propre à une région ruinée par le déboisement. Très chère Julie, tu dois vraiment la raconter et puis tu me communiqueras les impressions des enfants.

Je t'embrasse affectueusement,

Antonio.

Lettre n°80, Juin 1931. Lettres de la prison (Editions sociales, 1953).